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Interview du Professeur Gilles Pagès co-responsable du Master El Karoui

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LPMA - Laboratoire de Probabilités et Modèles Aléatoires
Master Probabilités et Finance
Annuaire des Anciens du Master Probabilités et Finance

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Qui êtes-vous Professeur Gilles Pagès ?

Je suis co-responsable de la Spécialité de Master 2 « Probabilités et Finance » avec mes collègues Nicole El Karoui, Marc Yor de l’UPMC et Emmanuel Gobet de l’Ecole Polytechnique.
Et aussi, directeur du Laboratoire de Probabilités et Modèles Aléatoires (LPMA-UMPC-Paris 7-CNRS).

Comment est né le Master Probabilités et Finance ?

C’est sous l’impulsion de Nicole El Karoui que Jean Jacod crée ce Master en 1990, comme option du DEA de probabilités et Applications dont il avait alors la responsabilité.
Nicole El Karoui – tout comme Hélyette Geman et Laure Elie - s’était convaincue que l’explosion des marchés de produits dérivés négociables et les mathématiques financières qui allaient avec, n’était pas un feu de paille.
Et surtout, que cette industrie financière était une industrie de main d’œuvre qui nécessiterait la formation de nombreux spécialistes de haut niveau en calcul stochastique et en probabilités.
Elles n’étaient certes pas tout à fait les seules (je pense à Nicolas Bouleau, Damien Lamberton et Bernard Lapeyre aux Ponts et Chaussées notamment) mais elles ont été clairement des pionnières, en particulier au sein de leurs laboratoires universitaires respectifs où leurs collègues se montraient des plus dubitatifs.

Les années ont assurément donné raison à Nicole El Karoui. Comment expliquez-vous un tel succès ?

Le Master « Probabilités et Finance » a diplômé 8 étudiants au terme de sa première année d’existence en septembre 1991. 22 ans plus tard nous venons de fêter le 1.000ème diplômé.
Entre ces deux décennies il s’est créé, à mon sens, une forme d’alchimie entre un enseignement plutôt théorique de très haut niveau et une interaction permanente avec les marchés et leurs évolutions sous la férule de Nicole El Karoui qui, à bien des égards est l’inspiratrice de ce modèle.
On pourrait en résumer la philosophie en disant que « Le Master El Karoui » est simplement un Master Pro du niveau théorique d’un Master Recherche.

Pourquoi les universités à dominante scientifique ont-elles joué gagnant sur les mathématiques financières ?

C’est sans doute dû à la place historiquement très faible des probabilités dans les cursus d’ingénieurs (et ne parlons pas des statistiques). Lorsque les modèles stochastiques (équation de Black-Scholes, modèles de diffusion brownienne, taux d’intérêt de type Vasicek…) ont déboulé dans les salles de marché avec les options négociables (ouverture du MATIF…) au milieu des années 1980, les responsables de ces salles de marché, un peu désemparés et complètement incompétents, sont allés à la pêche aux infos dans les écoles de commerce dont ils étaient issus mais là, silence radio.
Faute de grives… ; ils sont allés frapper à la porte de nos écoles d’ingénieurs et là, à quelques exceptions notables comme Les Ponts, même silence embarrassé. On leur a indiqué à tout hasard que « le stochastique » était plutôt l’affaire de la fac.
Ils y sont allés voir un peu en désespoir de cause. Et ils ont été souvent assez mal accueillis par des universitaires peu enclins à se pencher sur des problèmes de banquiers…

Souvent, mais pas toujours, et pas partout. Et c’est ainsi que l’Université (en l’occurrence Paris 6/UPMC, Paris 7/Paris Diderot) et les Ponts ont lancé le mouvement en créant des filières de mathématiques financières.
D’autres écoles - et en particulier l’Ecole Polytechnique, toujours sous l’impulsion de Nicole El Karoui et Laure Elie - ont embrayé.

Comment votre Master a-t-il évolué depuis sa création ?

Parallèlement la recherche dans ces domaines s’est développée autour des ces DEA, apportant de nouvelles problématiques aux probabilistes, et revitalisant au passage des domaines un peu hibernant comme le contrôle stochastique, l’arrêt optimal, les probabilités numériques (méthodes de Monte Carlo)… .
Mais ce qui est notable et original dans le développement des filières de mathématiques financières pour la formation des analystes quantitatifs (les fameux Quants) en France, c’est le rôle inattendu joué par les universités à dominante scientifique (citons Paris 6/UPMC, Paris 7/Paris Diderot, Marne-la-Vallée, Evry pour ce qui est de la région parisienne).

 

Quels sont les partenaires de votre Master (co-habilitation du diplôme) ?

A l’heure actuelle, le Master « Probabilités et Finance » est en co-habilitation entre l’UPMC (Paris 6) et l’Ecole Polytechnique qui ont accompagné son développement depuis le début. L’ENS Ulm, l’ESSEC et Télécom ParisTech sont nos autres partenaires privilégiés même si nous travaillons également avec de nombreuses écoles d’ingénieurs comme l’ENSIMAG (et de commerce comme HEC).

Qui sont les responsables pédagogiques du Master ?

Les responsables actuels du Master sont Nicole El Karoui, la fondatrice, Marc Yor, professeur à l’UPMC, membre de l’Académie des Sciences et spécialiste ô combien éminent du mouvement brownien, Emmanuel Gobet Professeur à l’Ecole Polytechnique et moi-même. Nous sommes dans une période de transition et de transmission qui explique cette direction volontairement collective. Cependant la taille importante des promotions justifie aussi cette direction collégiale.

Quel intérêt un étudiant a-t-il à choisir votre formation ?

Une des caractéristiques les plus marquantes du Master est sa capacité d’adaptation aux évolutions des marchés. Cela fait partie de notre mission de proposer année après année à nos étudiants des cours en prise directe avec les problématiques de marché.
Ainsi au fil des ans sont apparus (et parfois disparus) des cours sur le risque de crédit, les marchés de l’énergie, la modélisation et le calcul de risques financiers, la régulation et plus récemment la modélisation des marchés en haute fréquence (HFT High Frequency Trading) et les risques y afférant, ou le calcul haute performance sur carte graphique (GPGPU), en Cuda ou en OpenCL.

Au final, nous avons donc diplômé plus de 1.000 étudiants répartis sur 22 promotions, dont 66 en 2012 et 58 en 2011. Nous ajustons nos effectifs en fonction de notre analyse du marché de l’emploi dans le secteur en nous maintenant dans une fourchette de 60 à 100 étudiants par an. Cette année l’effectif de la promotion en cours est d’une soixantaine d’étudiants.

Quels sont vos critères de sélection à l’entrée du Master ?

Nous recherchons simultanément des étudiants :

  1. avec un haut niveau en mathématiques appliquées à dominante aléatoires (probabilités, processus stochastiques, statistique) mais aussi EDP, optimisation, analyse fonctionnelle,
  2.  une maîtrise avérée et vérifiable en programmation scientifique (C, C++, et/ou Java/Python…).

D’où viennent les étudiants du Master (Cursus standard avant l’entrée dans le Master) ?

Environ un tiers de chaque promotion est « réservé » aux polytechniciens sélectionnés selon une procédure spécifique au sein de chaque promotion parmi une quarantaine de postulants (voire beaucoup plus, selon les années).
Il reste donc une cinquantaine de places pour les autres candidats à sélectionner parmi les 250 à 350 candidatures que nous recevons chaque année.

Nous recherchons a dessein une certaine variété de profils parmi les futurs étudiants.
Un second tiers de chaque promotion est donc généralement constitué d’élèves de troisième année d’Ecoles d’ingénieur dites de classe A, d’ENS et d’Ecoles de Commerce (essentiellement ESSEC et HEC avec double-cursus universitaire en mathématiques de préférence).
Le troisième tiers est constitué d’étudiants d’Université avec une priorité pour nos étudiants de l’UPMC évidemment. C’est aussi dans ce contingent que nous recrutons des étudiants étrangers (notamment Italiens, Russes et depuis quelques années Chinois).

Quelle est l’orientation générale de l’enseignement du Master ?

Historiquement, le cœur du DEA devenu Master était constitué par la valorisation et la couverture des produits dérivés, notamment dans le domaine des taux (fixed income). Cela reste un domaine de référence pour nous avec un regain récent lié aux mutations profondes qu’a connu le marché des taux d’intérêt récemment (disparition de fait du LIBOR comme référence effective notamment).

Pour autant, et comme je l’indiquai plus tôt, nous accompagnons les évolutions du marché en matière de formation en relation étroite avec les professionnels qui assurent une part significative de nos enseignements.

Sur les cinq dernières années, nous avons ainsi créé :

Dans le même esprit nous avons augmenté l’espace offert aux statistiques et à l’économétrie de la finance en liaison avec l’émergence de la haute fréquence et des risques associés.
Enfin, nous opérons actuellement une diversification vers la statistique des grandes dimensions et le « big data » en coopération avec des acteurs émergents du secteur.
Plusieurs de nos anciens élèves nous ont en effet alertés sur le développement rapide de ce nouveau domaine d’activité et de ses liens étroits, d’un point de vue théorique, avec la conception de stratégie pour la gestion de fonds dite alternative.

Comment s’organisent les cours ?

L’année de Master 2 commence mi-septembre par des cours de remise à niveau, suivi d’un trimestre très exigeant sur le plan académique et d’une intensité comparable à celle d’une classe préparatoire.
De janvier à mars suit un trimestre plus spécialisé et un peu moins scolaire.
Dès le mois d’avril, les étudiants partent pour un stage de 6 mois minimum dans un établissement financier (cellules de recherche des banques, énergéticiens, éditeurs logiciels financiers, hedge funds, ...).
Il est désormais courant que les stages durent jusqu’à 9 mois, soit d’avril à décembre.

Et comment se déroulent les stages ?

Chaque stage s’appuie sur un projet comportant une importante composante scientifique, qui doit être validé en amont par l’équipe pédagogique. Le stage est un élément majeur de la formation de l’étudiant.
Seule la mise en œuvre in vivo des connaissances acquises un peu au « forceps » durant le premier trimestre, lui permettra de les assimiler pour prendre le nécessaire recul et l’esprit critique indispensable à une bonne pratique.
C’est aussi lors du stage que chaque étudiant découvre ses points forts et ses domaines de prédilection. Pour beaucoup, le stage est un moment de révélation qui l’émancipe des caractéristiques un peu univoques et pesantes du système scolaire français (cours magistraux, évaluation exclusive par la résolution de problèmes en temps limité lors des examens). C’est aussi pour certains d’entre eux l’occasion d’une première rémunération pour un travail en rapport avec leurs études.

Comment vos étudiants trouvent-ils leurs stages ?

Sur le papier c’est leur affaire.
En fait, nous organisons tous les vendredis de 17h à 19h30 un Séminaire Etudiants-Entreprise dans lequel les entreprises viennent chaque année se présenter et proposer leurs offres stages.
De Goldman Sachs, HSBC et la Société Générale à la petite structure de pricing indépendante, en passant par GDF SUEZ et EDF ou Murex et Mysis-Sophis (éditeurs logiciels), nous bénéficions ainsi d’un panorama annuel des acteurs de la finance mondiale (au sens le plus large du terme). Brokers (Chevreux), stratégistes (OSIAM) ou régulateurs sont aussi de la partie.

Ces « amphis retape », animés le plus souvent par un représentant RH de l’entreprise, un responsable de desk ou de service et un junior fraîchement embauché, très souvent issu d’une promotion précédente, ont un grand succès.

Le choix du vendredi qui offre de facto un week-end à Paris aux valeureux orateurs n’y est sans doute pas entièrement étranger. Un même établissement peut parfois venir plusieurs fois, car souvent, chaque département fonctionne de façon assez autonome, un peu comme une PME (Quants dédiés aux Equity, Hybrids, Fixed income, Commo(dities), risque et validation de modèles et parfois IT Quant).

Une fois le diplôme obtenu, quel avenir pour vos diplômés ?

Au premier octobre (ou parfois au 1er décembre pour les stages prolongés), le diplômé se met en quête d’un emploi, du moins ceux qui n’entament pas une thèse ce qui est la cas de 5 ou 6 de nos étudiants chaque année.
Pour les aider dans leurs recherches, nous mettons à leur disposition un accès à l’Annuaire des Anciens (plus de 1.000 diplômés donc) et à tous les maîtres de stage depuis 2003 via le versant « corpo » de notre site web.
Nous avons aussi développé un partenariat avec le site maths-fi.com au travers de l’opération « La pêche aux CV » : les CV de nos diplômés sont mis en avant lors des campagnes de promotion du site.

Quelles sont les qualités distinctives des diplômés de votre Master ?

Nos étudiants sont ambitieux, travailleurs et surtout, ils savent que leur vraie compétence c’est de savoir apprendre vite et de mettre en œuvre efficacement ce qu’ils ont appris.
Du coup, ils savent tirer partie de la polyvalence réelle des mathématiciens appliqués surtout, comme c’est leur cas, lorsqu’ils sont rôdés au calcul scientifique et à l’algorithmique.
Leur centre de gravité, qui penche plutôt vers les sciences de l’aléatoire et du stochastique, est en accord avec l’air du temps. Si les métiers quantitatifs de la finance de marché restent et resteront l’épine dorsale de la formation, les sollicitations d’entreprises œuvrant dans d’autres secteurs à haute valeur ajoutée du web-marketing aux systèmes embarqués pour les industries de Défense ou l’aéronautique civile sont bienvenues et prometteuses pour l’avenir.

Quelle carrière pour vos diplômés ?

En début de carrière, nos diplômés occupent des postes d’analystes quantitatifs (Quants ou, selon une terminologie émergente aux US, Strats pour Strategists). Puis, selon les cas, ils s’orientent vers des postes de structureurs sur des desks exotiques et se rapprochent au fil des ans du trading, prenant au bout de quelques années la responsabilité de l’un de ces desks ou d’un département de risque.
C’était en tout cas le parcours canonique de nos anciens il y a encore quelques années.

Aujourd’hui, dans les promotions les plus récentes, ces parcours se diversifient, ne serait-ce qu’en raison des fluctuations observées sur les embauches dans les grands établissements bancaires en France, en Europe et dans l’ensemble du monde. Beaucoup de diplômés s’orientent désormais vers de petites structures, dans lesquelles les grandes banques ont elles-mêmes externalisé certaines de leur missions, parfois pour des raisons réglementaires, parfois en vue d’un désengagement de l’activité, voire simplement pour bénéficier d’une expertise indépendante.
L’éventail des postes occupés est beaucoup plus large qu’auparavant sans même évoquer quelques reconversions spectaculaires (de l’ouverture d’une attraction à Las Vegas à une carrière dans la médecine hospitalière). Un indice qui ne trompe pas est le nombre important de nos diplômés qui, aussitôt le parchemin acquis ou quelques années plus tard, fondent leur propre entreprise.
Quoi qu’il en soit, l’évolution récente est une diminution réelle du nombre de Quants standard au profit de profils diversifiés, jusque et y compris dans des secteurs mêlant finance et « big data ». Quant aux secteurs opérationnels, ils évoluent avec les marchés : le crédit qui a suscité jusqu’à 30% des embauches dans les années 2005 ou 2006, a quasiment disparu, partiellement au profit du trading systématique et de l’arbitrage statistique (StatArb), ceci après une transition via les Commo(dities).

En matière de localisation géographique, après des années de croissance de Londres, au détriment de Paris et dans une certaine mesure de New York, on voit depuis quelques années l’Asie (Shanghai, Hong Kong, Singapour) monter en puissance à l’exception notable de Tokyo où le recrutement est en voie d’extinction. Cette évolution au sein de nos diplômés est évidemment étroitement corrélée avec le développement comparés de ces différentes places financières (mais aussi à celui de formations spécialisées sur place évidemment, notamment aux US).

Sans oublier qu’en 22 ans d’existence nous avons incidemment formé au moins 25 enseignants-chercheurs (et sans doute beaucoup plus) qui exercent dans diverses universités en France (y compris d’ailleurs dans d’autres Master cousins) et de par le monde.

Nous en arrivons à la question Pinocchio : combien gagnent les diplômés du Master ?

L’éventail des rémunérations reste un grand fantasme, y compris parmi les postulants à notre Master même si, en fonction de l’air du temps, ceux-ci s’en défendent avec plus ou moins d’énergie.
En fait, les seules informations dont nous disposons sont relatives aux salaires d’embauche et ceux-ci ne dépendent pas uniquement de « nous » mais aussi de la formation en amont du diplômé.
En clair, la casquette de polytechnicien ou de centralien ne disparaît pas tout à fait sous celle du Master El Karoui. Disons, qu’en règle générale, ce premier salaire se négocie dans une fourchette de 45 à 55 k€ bruts annuels.
Pour autant que ceci ait un sens lorsque plus de la moitié d’une promotion met les voiles vers l’étranger.
Après la première année, les bonus s’ajoutent aux salaires et leur montant individuel est sans doute le secret le mieux gardé de la profession : jamais aucun de mes anciens élèves n’a évoqué devant moi sa rémunération. En cela, où qu’ils soient dans le monde, nos anciens élèves restent très « français ». En conséquence de quoi, on ne peut que se fier à ceux de nos anciens qui confessent de loin en loin dans la presse des patrimoines, sinon des revenus, enviables leur permettant de se reconvertir dans l’immobilier ou le tourisme sans peur du lendemain.
D’autres ont gravi et gravissent encore les échelons des plus puissants établissements de la planète… Mais les points singuliers ne font pas une statistique et je terminerai par là où j’ai commencé : il y a beaucoup de fantasmes et peu d’informations sur ce sujet.

Les inscriptions au Master Probabilités et Finance pour la rentrée de septembre 2013 seront bientôt ouvertes.
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Interview réalisée par la rédaction de Maths-Fi le mardi 12 février 2013.

Stage Finance de marche Ingenieur Master DEA DESS mastere Doctorat MSc MS Phd, Finance Quantitative, IT Finance, Mathematique financiere et informatique, ingénierie financière, France et international